N8 – Episode 8

illustration - Oghia

illustration – Oghia

Massacre au Louvre

Ep8 - couverture

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Fillon de son côté progressait dans ce cirque. L’intensité du merdier se déplaçait avec sa logique propre, défiant toute organisation. Cela pouvait partir d’une rue étroite aussi bien que d’un croisement plus spacieux. Les sons montaient jusqu’à un niveau élevé et au moindre silence, une autre vague prenait le relais. La nouvelle clameur soufflait la première, entraînant un déplacement vers un nouveau lieu. Les raves se répondaient et se répandaient ainsi dans un immense brasier bouillonnant de watts. Fillon qui passait son temps libre à observer silencieusement les oiseaux et à répertorier leur chant était servi.

“ Victor devait coller à la roue d’une de ces saloperies de raves. Il faisait le light-show. Ce con ! ”

Il allait traverser le boulevard Sébastopol assez dégagé à cet endroit, de manière à avoir un champ de vision suffisant pour guetter l’arrivée d’un arc-en-ciel, quand il fut appelé par un groupe. Il passa outre et continua son observation. Rien, où donc était passé Victor ? Il sentit une main se poser sur sa manche et le tirer en brutalement en arrière. Avant qu’il ait eu le temps de réagir une balle claqua, déclenchant aussitôt des coups de feu à quelques mètres. D’autres balles passèrent autour de lui, mais venant de derrière lui, lui semblait-il. Il ne savait plus d’où partaient les tirs. Désorienté, sourd et sonné, il se retrouva à l’abri sous une porte cochère avec un groupe d’hommes. Ils étaient sept, leurs combinaisons noires étaient couvertes par des blousons de sport, certains étaient en civil. Sous les vestes, les sangles, les crosses et les canons de métal noir grouillaient comme des serpents. Ils rentrèrent dans la loge du concierge. C’était l’un des groupes d’intervention de la gendarmerie. L’un d’eux, muni d’un fusil à grosse lunette, lui demanda.

– Vous répondez jamais quand on vous appelle ? Y’a un sniper, en face, qu’a bien failli vous allumer. On essaye de l’avoir depuis un bout de temps. Vous avez failli tout faire foirer. Je crois qu’on l’a eu quand même.

– J’étais préoccupé et puis je suis pas censé savoir que vous êtes des gendarmes. J’suis bien flic.

– Faut pas rêver en ce moment, mon gars. Alors comme ça, vous faites partie de la police ?

– J’viens d’vous le dire.

– Qu’est-ce que vous foutez dans ce merdier ?

– Je cherche mon fils.

– Et vous regardez en l’air pour le retrouver ?

– Il a un pistolet laser qui émet des arcs-en-ciel. Il vise des lumières avec. Lorsqu’elles sont en hauteur je les vois et ça me guide.

– Drôle de jeu qu’vous avez là avec le fiston ! Tout en surveillant avec la lunette l’immeuble qui se profile au bout de la place. Il rapproche le petit micro qui est accroché à ses écouteurs. Charlie va finir le snip. Il a l’air d’en avoir un coup dans l’aile. Terminé.

Je vous écoutais à moitié… votre fils fait des arcs-en-ciel… c’est une histoire de fou. Attendez ! On a repéré un gus qui se sert d’un engin radioactif ou répertorié comme tel. Le genre de saloperie qu’on fabrique à l’est ou en Extrême-Orient. C’est légal le truc de votre fils ? Max regarde les papiers du monsieur. Il est de la maison paraît-il.

Ep8 - Ill1 couleur-01

Fillon qui imagine la galère dans laquelle il va se retrouver si jamais il a oublié sa putain de carte, sa plaque et tout ce putain de merdier est pris d’une soudaine mauvaise humeur. Il hurle.

– Ce pistolet est un jouet pour enfant !

La rage lui fait jaillir d’entre les mains la panoplie complète du flic, carte, plaque, flingue compris.

– Ca va, on peut pas savoir à qui on à faire. Dites donc votre jouet radioactif, il est en vente libre ou il s’achète sous le manteau ?

– Mais grand Dieu, vous êtes devenu sourd à force de tirer avec votre pétoire ? Ce n’est pas le rayon de la mort. Ce n’est pas une arme balistico-stratégique, c’est UN JOUET POUR ENFANTS, qui est vendu dans des magasins au RAYON DES JOUETS POUR ENFANTS.

– Criez pas comme ça. Ça va. Faut pas s’énerver ! Est-ce qu’on s’énerve, nous ? Non, alors ? Le lieutenant nous a signalé un engin qui tire des rayons radioactifs. Y’a plein de saletés qui se baladent dans la nature actuellement. Des flingues, des lance-roquettes des prototypes très sophistiqués… On a deux hélicos au-dessus qui sont en train de le repérer. Ils vont le finaliser.

– C’est pas vrai ! Arrêtez tout de suite cette connerie. Donnez l’ordre tout de suite de les arrêter.

– Du calme ! Ça se passe pas comme ça. Vous inquiétez pas. Il faut s’approcher. Identifier clairement la cible. Les dommages collatéraux vous avez entendu parler ? On travaille en plein milieu urbain ici. C’est pas la campagne. On va pas lui envoyer une rocket à votre poussin.

– Putain, la gendarmerie ! Vous êtes encore plus con que votre réputation. Vos appareils merdent. Appelez votre lieutenant… comment a-t-il détecté la radioactivité ? Il y a peut-être une interférence avec un autre appareil ?

– Ça va, soyez pas désagréable, maintenant ! Appelle le lieut. Max. Ça bouge de l’autre côté de la rue. Ça a tout l’air d’un groupe armé.

– Indiquez moi la position de mon fils. J’irais le chercher moi, Victor.

– Y z’ont tiré en face. Quittant l’œil de la lunette, le gendarme jeta un regard vers Fillon. On peut pas vous filer sa position, mon vieux, si ça été répertorié comme un proto top secret, c’est à nous qu’il incombe de récupérer l’objet.

– Si c’est un proto top secret ducon, c’est pas encore répertorié.

– Y recommence à redevenir désagréable. Et puis merde ! Max montre lui sur la carte où on a repéré la dernière fois son rejeton.

– Pouviez pas commencer par là ?

Fillon prit connaissance de la zone qui avait été définie grâce au G.P.S. Un petit ordinateur avait craché un agrandissement de quelques pâtés de maisons. C’est dans cet espace que Victor était censé évoluer.

Précis si exact, se dit Fillon, qui ne demanda pas son reste et se retrouva dans la rue, rempli d’appréhension, filant vers la Bourse du Commerce.

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Alors que la mitraille tonne dans le centre de Paris, les jardins des Tuileries sont labourés par des obus de mortier manipulés par des gamins. De mauvais plaisants avaient abandonné avec quelques caisses d’obus, des tubes réglés sur leurs bipieds en position de tir. Les enfants d’abord, puis quelques oisifs curieux mirent les pièces en action. Le bruit de vaisselle cassée, une fois la surprise passée, était plutôt excitant. Ces nouveaux jouets firent fureur. Malgré les explosions et leurs cratères qui avaient chassé des jardins les bandes de chiens, la fête continuait, étrangère aux explosions. La ville était partagée entre insouciance festive et massacre. Musique et mitraillage se confondant entre les danseurs et les combattants. Tueurs et couples enlacés évoluaient librement…

A l’intérieur du Louvre des tirs et des explosions éclataient. La pyramide dont la charpente bâillait au vent livrait passage à des pillards. Des groupes sortaient avec des meubles sur l’épaule, des toiles roulées sous les bras. Les Blacks Renois commencèrent le chantier de leur vie, une fantastique carrière s’ouvrit dans la galerie égyptienne tandis que des tireurs isolés Vickskins les harcelaient. Sandor errait dans les salles. Il avait joué de la cora, en haut du grand escalier, au pied de la victoire de Samothrace, sainte patronne des aigles de sang. Profitant de l’acoustique exceptionnelle il se laissait imprégner par les lieux. Tout ce butin rapporté d’Italie, étalé, là à ses pieds. N’était-il dans le valhöll ? En fait, il l’avait découvert depuis quand ? Les sculptures le regardaient, tous ces soldats sur leur bas relief lui faisaient une standing ovation. Cela faisait longtemps qu’il fréquentait ces lieux mais jamais il n’avait ressenti comme aujourd’hui l’âme des guerriers morts. C’est ici qu’était le Valhöll. C’était l’évidence, toutes ces sculptures, ces gisants, ces guerriers pétrifiés tués au combat. Sur les tableaux collés sur les toiles ou les panneaux de bois, toujours les guerriers morts au champs d’honneur.

Tous attendaient Le Signal.

JL Lacombe saccage au Louvre

Jean-Louis Lacombe

Sandor était dans le palais aux 540 portes d’où allait jaillir l’armée des soldats morts. Le plus grand charnier mondial renaissait grâce à lui, Sandor Walala. Comme jamais, il avait fait sonner les cordes de l’instrument. La victoire de Samothrace lui communiquait une force qui le vida sans qu’il s’en rende compte. Elle était La Grande Mère Abusive qu’il n’avait jamais vraiment connue, la victoire, qui faisait renaître en elle tous les aigles de sang passés et à venir.

Elle était BAR la 13ème rune, celle qui avait disparu au Danemark.

Elle était aussi SIG, la 11éme Rune. La victoire.

Il était au cœur du Valhöll, le Walhalla… les grandes retrouvailles.

Une émotion intense l’étreignit, il trembla. La grande morgue vibrait autour de lui. Il sentait la moindre palpitation. Des courants d’une extrême morbidité le traversèrent, il lâcha sa cora qui émit un son étrange, une plainte, puis un miaulement strident vibrant dans un puits, qui se répercuta, fuyant sous la voûte… les fantômes s’effaçaient. Il abandonna sa cora à son électricité. L’angle changeait l’interférence. Un incroyable hurlement de larsen se répercuta dans les galeries. Il s’arracha et de couloir en salle agitée par les pillages, évitant des tirs sporadiques qui marquaient de leurs impacts des tableaux figés dans leur moulure, il se trouva devant une immense toile. Sa présence submergeait l’espace. Projecteur à puissance inversée, elle aspirait tout vers elle, vers ses formes. Sa géométrie intime canalisait une violence encore inconnue à l’échelle de Richter. Des personnages se dessinaient sur la composition. Des chevaliers en armes, des chevaux, des chairs, des muscles, des tendons, habillés pour la bataille, étaient figés dans leurs pellicules de fines couleurs. Les étendards, les lances, les armures étaient plaqués comme des milliers d’insectes, des papillons morts, collés à un gigantesque pare-brise. La bataille de San Romano fonçait à tout allure sur Sandor et s’ouvrait à lui. Etrange sortilège. Ucello lui soufflait dans l’oreille des cris de guerre obscènes. Prisonniers de cette toile, ils attendaient tous le moment où la monstruosité allait éclater dans une débauche de lèvres de sang. Inconscients, deux pillards n’avaient pas encore réalisé qu’ils se trouvaient dans l’œil du cyclone. Ils venaient d’improviser des masques avec le portrait de Giotto et de Donatello. Armés de cutters, les peintures encapuchonnées sur la tête, ils commencèrent à découper la bataille. Ils ne prenaient que certaines parties pour ne pas s’encombrer, de préférence des “ meufs ”. Un peu avant que les combats s’engagent dans la galerie voisine, ils avaient soulagé quelques concubines à Sardanapale… D’un coup de pied dans le ventre porté latéralement, Sandor dégagea le masque de Giotto, qui, surpris, s’entailla profondément la main. Le deuxième n’eut guère le temps de se retourner, il se retrouva la tête dans le mur… précipité ainsi à plusieurs reprises le masque de Donatello tomba. Le crâne céda, ce qui fît forte impression sur son collègue qui prit ses jambes à son cou. Dans la galerie adjacente, un Vickskin armé d’un superbe Dragunov à lunette venait de rater un Black Renoi qui lui répondit par une longue rafale… KA KA KA KA… le claquement se répercuta sur les glacis, trouant et givrant de plâtre les figures aux modelés anciens. Un Vick avait été touché entre deux salles, une balle lui avait sectionné la moelle épinière, il se traînait en pleurant, et ses cris résonnaient entre le moyen âge et la renaissance… Sandor n’avait pas vu une silhouette… une ombre qui s’était glissée derrière lui, emportée par le tourbillon de violence où la peinture se mélangeait à la réalité. Sandor Walala, avalé par la bataille d’Ucello, reçut dans l’arrière du crâne l’énorme vacarme silencieux de cette imposante peinture et le choc de l’impact d’un 9mm Smith et Wesson Mark 22, muni d’un silencieux Hush Puppy model O.

Dans un éclair Sandor découvrit au milieu des heaumes et des lances : des palmiers qui tanguaient…

Diadou, pistolet-silencieux au poing collé derrière le crâne de Sandor, regardait la ligne rouge que venait de tracer la balle sur le cuir chevelu du viking noir. Sandor s’était légèrement baissé au moment où Diadou avait pressé la détente. Sonné mais vivant, Sandor, tournant à toute vitesse, prit Diadou dans une vrille et s’empara de son Smith & Wesson. Un peu en retrait, derrière une colonne, Florence Moskin maintenait sa filature, elle n’avait pas quitté de l’œil Diadou, à part un court instant où elle se retrouva prise sous le feu des Black Renois qui affluaient… une fusillade venait d’éclater. La Smokinge réussit malgré tout à se rapprocher des protagonistes après avoir éliminé deux des Blacks Renois. L’échange entre Diadou et Sandor lui a échappé, mais elle a conservé dans la rétine la silhouette de Diadou avec son S.& W. reconnaissable à son long silencieux. Elle n’hésite pas un instant, persuadée qu’il s’agit de Diadou, elle fait feu sur Sandor. Celui-ci tient l’automatique et enfonce consciencieusement le silencieux dans la bouche de Diadou. Touché à la poitrine, Sandor s’écroule en arrière. Sa tête heurte la toile d’Ucello là où les pillards ont incisé la toile, son crâne déchire l’œuvre et pénètre dans la peinture. Sa tête dans les pieds des soldats. Là, accroché, entre deux mondes, piétiné, mordu par la bataille, incapable de réagir contre cet ensorcellement mortel qui le gagne, Sandor, regarde. Paradoxalement détaché, il voit Florence Moskin lever son arme et tirer sur Sefilo. La balle n’atteint pas Sefilo car l’offensive black renois reprend de plus belle et Florence est touchée au bras et au ventre. Sefilo ne comprend rien à ce qui se passe, il a récupéré le S&W et menotté Diadou à Sandor. Avoir été pris comme cible par Florence lui a complètement échappé. Il a vu Florence tomber et s’est précipité sur elle. Diadou a fait de même avec Sandor, mais pour s’en faire un sac de sable. En rampant à reculons, tirant à feu continu de toutes leurs armes, Florence et Sefilo sortent de la salle. Diadou les rejoint toujours accroché à Sandor. Recroquevillés derrière le corps du Viking Noir, cernés par les Black Renois, Florence, Diadou, et Sefilo reprennent leur souffle. Florence est salement touchée. Avec un morceau de chemise Sefilo improvise une compresse et recharge les armes. Il a mis la main sur une Kalach, augmentant ainsi leur puissance de feu. La tête protégée par l’épaule de Sandor, il entend celui-ci lui chuchoter :

– Ta place n’est pas dans le Valhöll… tu n’es pas… un violent impact secoue son corps, empêchant le Viking noir de terminer sa phrase.

François, y faut qu’j’te dise… plus tard coupe Sefilo, qui a vu une ouverture vers la galerie au fond. Il donne un coup dans les côtes de Diadou avec le canon de son revolver en articulant fermement ces mots :

– Tu te tires et tu es un homme mort.

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Sefilo soutient Florence sous l’épaule, tandis que Diadou lié à son double porte le corps de Sandor. Etrange attelage, dans un musée dévasté, ils avancent ainsi jusqu’à la salle suivante. Une enfilade de peintures religieuses. Derrière eux, des pans entiers de verrière dégringolent dans la galerie de peintures italiennes. Des rafales tirées en l’air. Les cris de guerre des Black renois remplissent de leur respiration tout l’espace adjacent. Ce sinistre bruit de scie égoïne s’enfle et prend de l’ampleur. Ils ont attrapé vivant un Vick, et le transforme en Saint-Sébastien. Ce qui reste d’un homme est attaché à une statue et sanglote. Du sang plein les yeux, le supplicié ne peut plus voir le modèle original de Mantegna, qui déchiré, réduit en poussière, suit cette implacable et rigoureuse logique propre aux Black Renois. Le supplice du Vickskin permet à Sefilo de pousser discrètement son équipe. Cahin-caha, ils avancent au milieu de l’hallucinante haie de Madones et d’enfants Jésus qui se multiplient devant eux. Florence trébuche, Sefilo la rattrape. En retrait, Diadou enchaîné à Sandor s’aplatit. Au-dessus d’eux, Saint-Jérôme apprivoise un lion, en face, sous une de ces nombreuses vierges attentives, Florence se cramponne à la manche de Sefilo. Les enfants Jésus gigotent. Grelottante, Florence dit :

T’aurais jamais dû sortir de l’Hôtel de Ville… c’est moi qui t’ai invité. Connaissant ton goût de chiotte, ça devait te plaire. Maintenant laisse moi. J’ai tué Sandor par erreur. J’ai voulu t’tuer. Je t’ai trahie… je vous ai tous trahis.

Tu dis n’importe quoi. Arrête tes conneries, on va s’en sortir… on n’est plus très loin de la sortie.

Laisse moi crever ici connard. Elle braque son arme sur Sefilo. Libère Sandor de ce crétin de Diadou.

Mais, Sandor est mort.

– On… est tous morts. Le Walhalla est déclenché. Tout doit disparaître. Fouks a été liquidé… l’imbécile se baladait avec un revolver vide.

– Quoi ? Qu’est c’est que c’t’embrouille ?

– Je savais que depuis un moment Fouks me soupçonnait. J’ai échangé les munitions dans son tiroir. Les types du bistro en face de sa mère le surveillent… à l’heure actuelle, le barman lui a servi un dernier coup. Tout est planifié. Pauvre con… t’as pas compris qu’on est tous en train de s’entretuer. La douleur la fait gémir, son bras vacille légèrement.

Sefilo en profite pour s’emparer de l’arme de Florence. Diadou traînant Sandor s’est approché de la grande porte vitrée qu’il essaye d’ouvrir. L’impact d’une balle tirée prés de son oreille coupe son élan. Sefilo et Florence le rejoignent. Au moment ou Sandor vomit un flot de sang. Ils passent tous la lourde porte, Manba, un Black Renois les aperçoit se glisser entre les deux battants. Il lâche une longue rafale de sa mitrailleuse Stoner. Une ligne pointillée se déplace sur les visages délicats de Madone, frappant parfois au hasard l’enfant qu’elle tient dans les bras. Les petites vignettes oblitérées se balancent sous le regard attentif de Manba, l’arme à la hanche. Le Black Renois a eut le temps d’apercevoir une femme blessée. Il veut prendre cette blonde avant qu’elle ne soit complètement froide, il veut la sentir juste avant que la vie ne la quitte. Il anticipe le trajet qu’ils vont prendre. A travers les galeries, il se perd dans la peinture française. Au passage, il se taille un poncho dans le radeau de La Méduse. Satisfait de ses corps qui le recouvrent, frémissant à l’avance du plaisir qui l’attend. Couvert de ces lambeaux, il s’arrache à l’exception culturelle française. Mais la galerie des grands tableaux français agit à la manière de la mer des Sargasses. Ralentisseurs hypnotiques, elle perd ses visiteurs. L’espace d’un moment… plus ou moins long.

flingue

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De son côté Le Gallo avançait. Quelques tirs de Victor l’avaient remis dans la bonne direction et ce, sans avoir recours au G.P.S. de la gendarmerie. Il avait trouvé un de ces bonnets noirs qu’affectionnaient les marins et les rappeurs. Passe partout, il camouflait cheveux blancs et calvitie. L’O.P.J. à la retraite passait inaperçu avec sa veste à la manche et son pantalon déchirés. Il avait évité une fusillade importante rue Saint-Honoré. Il s’était faufilé au risque de se faire éclater les tympans derrière ce déluge de mégawatts. Planté rue du Louvre, la Bourse du Commerce dans le dos, il attendait que son filleul veuille bien faire son petit arc-en-ciel. Qu’est-ce qu’il foutait et est-ce qu’il était encore dans le coin ? Ça commençait à s’animer rue du Louvre. Des gus rasant les murs tiraient en direction de la Seine, s’arrêtant quelques instants dans l’ombre des portes ils descendaient maintenant vers lui. A l’autre bout de la rue, quelques tirs diffus répondaient, sans conviction. Une silhouette en face de lui traversa rapidement en zigzag. A ce moment un mince filet de lumière passa au-dessus de Le Gallo, touchant le toit de la Bourse du Commerce. Sur le mur, un tag phosphorescent luisait d’un éclat verdâtre : Gérons la misère ! Le dôme illuminé par les couleurs du prisme sembla décoller de sa base. Le spectacle avait eu plus d’un amateur. La bande armée qui descendait la rue hâta le pas. Deux d’entre eux restèrent sur le pavé. Le Gallo avait repéré le point de départ du tir. Victor était au deuxième étage d’un immeuble délabré de la rue J-J Rousseau. Il fonça sans zigzaguer, il n’en avait plus la force. Il alla le plus vite qu’il put vers la porte. Un coup claqua qui moucha l’asphalte à un mètre de son pied. Cela réveilla des souvenirs. La trouille. On lui tirait dessus. Il trouva quand même une accélération qui lui fit atteindre l’entrée de l’immeuble. Complètement essoufflé, il s’assit sur les marches avant de se taper l’escalade des deux étages. A peine relevé, un canon froid lui percuta l’oreille. Un coup d’œil sur le côté lui permit de reconnaître l’O.P.J. Philippe Fillon. Lequel mit quelques secondes à réaliser qu’il avait bien son ex-collègue et ami en face de lui. Le Gallo mit Fillon au courant de la situation intérieure: Victor devait être au deuxième étage. A l’extérieur : attirés par les arcs-en-ciel, des groupes armés se dirigeaient vers eux. Le Gallo surveillerait en bas pendant que Fillon irait chercher son fils.

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Fouks passait devant le troquet où il avait entendu Olaf pour la première fois. Il rentra, un peu étonné de le trouver ouvert, mais qu’est ce qui avait encore un sens ?… Il commanda un cognac et demanda si la cabine téléphonique fonctionnait. Il trempa ses lèvres dans la liqueur et se dirigea vers le fond de la salle au moment où la porte de la rue s’ouvrait, livrant le passage à un homme. Fouks surprit un échange de regard entre le nouvel arrivant et le barman. Arrivé au téléphone, Fouks se retourna à l’instant où le barman montrait la porte de la cabine. Il s’y engouffra. Pas de parano se dit Fouks en sortant le Manurhin MR 73 de son étui, il vérifia le barillet vide, bien sûr. Il prit quelques balles pour les glisser dans les ogives… il dût bien se rendre à l’évidence… un sombre con avait changé les balles. Les balles qu’il tenait entre les doigts étaient celle d’un 7.65. Bien la peine d’écrire un bouquin qui s’intitule “ La stratégie de l’angle mort” et d’être même pas capable de faire la différence entre du 357 Magnum et du 7.65. Me v’la bien. Il décida de laisser le téléphone pour se réfugier dans les chiottes. Il fallait gagner du temps s’il ne trouvait pas d’autre solution, il pourrait toujours bluffer… ça ne l’enchantait pas des masses de jouer au con avec un revolver vide. Son regard se déplaçait rapidement autour de lui. Une étagère lui permettait d’accéder à une petite fenêtre étroite mais assez spacieuse pour lui laisser le passage. Cela lui plaisait de moins en moins, mais la fuite lui semblait préférable. Ils commençaient à s’activer derrière la porte.

– Sortez Fouks ! Vous êtes cuit.

Une cuvette tachetée de peinture et un bidon de détachant marqué d’une flamme sur un logo sous-titré TRÈS INFLAMMABLE lui chatouilla les neurones. Fouks prit la cuvette et disposa une dizaine de balles de 7.65 légèrement inclinées en l’air vers la porte versa un bon fond d’acétone, puis, avec un calme qui le surprit lui-même, jeta un coup d’œil sur sa construction. Les douilles baignaient tranquillement. Il vérifia la fenêtre qui s’ouvrit sans problème, grimpa sur la lunette puis craqua une allumette avant de laisser tomber dans la cuvette qui s’enflamma. Il fit l’effort de sa vie pour ne pas se faire sauter la sous-ventrière. Les coups d’épaules résonnaient. La porte commençait à céder. La petite flambée lançait dans le cerveau de Fouks des stimuli qui lui donnaient des ailes.

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Il atterrit cul par-dessus tête sur les poubelles dans la cour de l’immeuble à quelques secondes de l’explosion générale. La porte avait lâché. Les balles et le bidon d’acétone, tout cela avait sauté au moment où les deux hommes pénétraient dans les toilettes. Certainement brûlés et blessés, ils hurlaient à l’unisson, ce qui remit du cœur au ventre de l’inspecteur Fouks. La stratégie de l’angle mort ne pouvait pas être un mauvais livre... Il sortit son revolver vide, prit un air martial et se rendit chez sa mère récupérer le Lüger de papa, se promettant bien de vérifier les balles… dans la rue un graffiti indiquait : Entrez en frappant.

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A l’angle de la rue Jean-Jacques Rousseau et de la rue du Louvre, Fillon avait récupéré Victor. Le jeune garçon était plutôt content de voir son père. Ravi de savoir que Le Gallo était en bas en train de surveiller la rue. Une bonne soirée. Il avait repéré des lumières allumées et il savait qu’à partir d’une dizaine de lumières, les arcs-en-ciel se grefferaient entre eux et s’emballeraient sur tout ce qui luirait. L’idée qui, au départ, ne séduisait pas Philippe Fillon trouva une certaine résonance dans ce concept de luisance soudainement prise dans un tourbillon multicolore. Il fallait faire vite. Victor lâcha quelques rayons qui, comme prévu, tissèrent une toile colorée qui alla en s’élargissant. Ils n’avaient qu’une quinzaine de secondes devant eux. Le pistolet commençait à faiblir… les piles seraient bientôt à plat. Sans attendre le résultat, il dévala avec son père les escaliers et ils récupérèrent Le Gallo. Victor rebalança une rafale avant de sortir de l’immeuble encadré par ses deux parents. La rue semblait prise dans un décor de bulle de savon multicolore.

Les fenêtres des maisons renvoyaient les couleurs et, surtout, cela produisit un effet complètement déstabilisant sur tous les possesseurs d’armes. Fermement décidés à tirer sur tout ce qui bougeait en face d’eux, ils voyaient brusquement les canons de leurs armes colorés par une vapeur irisée. Fascinés par un spectacle qui reliait tous les combattants par la couleur. Sous le charme, l’agressivité retomba, l’offensive cessa jusqu’au moment où les couleurs s’effacèrent, alors, les tirs reprirent. Quelques rafales plus tard, le rêve avait disparu. Le trio Le Gallo, Fillon senior et junior était passé au travers des combats.

Klaus Schweier

Klaus Schweier

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Fouks, dopé par sa fracassante sortie des toilettes, monta avec une fougue de jeune homme les escaliers qui menaient à l’appartement de sa mère. Bien décidé à rester un minimum de temps, il comptait vérifier discrètement que tout allait bien. Il récupérerait le Lüger, laisserait un petit mot et hop, repartirait silencieusement comme il était venu. Pas question de réveiller sa vieille mère. La porte d’entrée ne posa pas de problème, par contre le placard qui devait contenir les antiquités et les souvenirs de guerre avaient été vidés. Fouks commença à s’inquiéter. Sa mère était capable d’avoir balancé le pistolet. Il était en train de fouiller quand il entendit la voix maternelle derrière lui.

– Si tu cherches quelque chose de particulier Charles, pourquoi ne prends-tu pas l’habitude de me demander avant de mettre tout ce désordre ?

– J’voulais pas te réveiller… j’suis passé chercher le Lüger de papa et je n’arrive pas à mettre la main dessus.

– Le quoi ?

– Le Lüger, le pistolet allemand.

– J’ai failli le jeter et puis j’ai pensé que ça te ferait plaisir de le garder alors je l’ai mis dans le tiroir du buffet de l’entrée, pour que tu penses à le prendre… tu le trouves ?

– Mais maman, les balles…elles sont passées où ?

– Je les ai jetées. Quand on a une arme chargée à la maison, on est toujours tenté de s’en servir… c’est ce que ton père disait.

Décidément, se dit Fouks, replaçant le chargeur vide dans la crosse de l’arme, y’a des jours avec et y’a des jours sans… Il glissa l’automatique dans sa ceinture, après tout une arme vide de plus… déposa un baiser sur la joue de sa mère en la priant de bien rester barricadée chez elle et d’attendre que toutes ces histoires se calment. Une fois dans la rue, il prit les deux flingots en mains. Qui irait penser qu’un homme qui a deux armes en mains est assez con pour en avoir aucune de chargée ? Il passa devant le troquet au moment où les deux hommes qui avaient essayé de le coincer sortaient, titubant et blessés.

– Manhurin ou Lüger, messieurs, faites votre choix ! Pas de préférence ? Alors vous allez gentiment vous passer les menottes en prenant soin de les glisser au travers de la grille, comme ceci.

Le barman s’était passé un bracelet, puis récupérant l’autre en le passant au travers des barreaux, Fouks referma les menottes sur le poignet du deuxième larron.

– Nous laissez pas là ! On va se faire tuer. Soyez humain, inspecteur. On va vous dire tout ce qu’on sait…

– Désolé messieurs, il y a quelque temps vous auriez toujours pu m’appeler ainsi, mais maintenant j’suis capitaine et je ne vois vraiment pas ce que vous pourriez m’apporter. Schnaps ist Schnaps, Dienst ist Dienst. Restez sagement accrochés à votre grille, ne vous faites pas remarquer et peut-être viendrai-je vous chercher dans un petit moment.

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Florence, d’une voix faible et monocorde continue sa confession. Sefilo, concentré sur les dangers, surveille les issues. Il ne quitte pas de l’œil Diadou qui semble indifférent à son fardeau, il a l’air de porter son ombre sur le dos. Sefilo ne prête plus qu’une oreille distraite aux propos de sa collègue et ancienne amante dont le débit se ralentit parfois… la voix se fait plus faible, il accroche un bout de phrase retient un mot. Relie deux informations anciennes, mal classées dans son esprit. La surprise passée, il se concentre sur l’environnement hostile. Il reçoit une bonne giclée d’adrénaline quand ils tombent sur deux Blacks Renois transformés en aigles de sang. C’est du beau boulot pense Diadou qui a l’air d’y connaître un rayon. C’est encore frais pense Sefilo. Pendus par les bras au chapiteau de l’Apadana, les deux suppliciés sont agités d’infimes tremblements tandis qu’un insupportable sifflement s’échappe de leur poumons monstrueusement greffés sur leur dos.

– Ne traînons pas, les Vickskins se feraient un plaisir d’en faire autant avec nous.

Le décor s’y prête. Autour d’eux, les taureaux ailés couvrent de leurs ombres des fragments de puissance oubliée. Une silhouette s’est glissée et a échappé à la sagacité du Martiniquais. Florence, toujours en train de lui dicter ce rapport incohérent qui submerge Sefilo, s’imprime dans son cerveau. Certains éléments épars s’ordonnent. La voix de Florence maintenant presque inaudible continue à livrer ses secrets.

– J’ai sciemment mis Fred en contact avec les journalistes. La photo, c’est une idée à moi. Il connaissait la loi pourtant, j’ai réussi à persuader cet imbécile qu’il toucherait du pognon. Grillé. Un peu plus tard… J’ai effacé les traces des prostitués disparues. Dans l’autobus tout le monde avait confiance en moi. J’avais accès à leur dossier… c’est moi qui ai prévenu Sandor pour la dernière souricière… c’était mon amant. Sefilo s’arrête, dépose Florence au pied du grand taureau. Il la regarde sans y croire.

– Comment cela ? demande-t-il doucement. Il s’approche pour accrocher encore un peu ce filet de voix qui s’en va…

– Tout a commencé au commissariat, chez Belbot… c’est là qu’on a baisé la première fois. Tu l’avais arrêté, je l’ai interrogé… Sandor s’apprête à la frapper, quand Florence, d’un signe de tête appuyé du regard, attire l’attention de Sefilo sur le Black Renois qui s’avance vers eux. Le canon luisant de la Stoner émerge d’un carré de toile couverte d’un charnier craquelé. Sefilo reçoit ce flash cauchemardesque. Délicatement, dans un ralenti surprenant face à l’urgence de l’instant. S’arrachant aux sentiments d’horreur qui le submergent, à contretemps de lui-même, il dirige le Hush Puppy sur le cœur du Black Renois et tire. Malgré la procédure on ne peut plus suicidaire, la balle traverse la pellicule de peinture bitumisée (une tête d’esclave mort de soif) avant d’éclater le cœur du grand noir, à deux pas de Florence qui perd connaissance. Diadou ne bouge pas la tête, il a sagement assis le corps de Sandor à côté de lui et il regarde Sefilo secouer Florence. Son pied accroche la sangle de la mitrailleuse légère et la ramène lentement vers lui. Il tousse doucement la main devant la bouche histoire de donner le change en couvrant le raclement du chargeur sur les dalles de marbre. Diadou fait doucement tourner l’arme en appui sur son chargeur cylindrique de manière à la braquer sur Sefilo, se baissant à peine, il saisit l’arme par la poignée pistolet, presse sur la détente…RIEN. Vide. De rage, il colle un coup de pied dans la crosse qui fait tourner l’arme sur elle même. Sefilo réagit automatiquement braquant son arme sur Diadou qui lève les bras doucement entraînant avec lui le corps de Sandor qui tombe en avant. Le martiniquais récupère la Stoner.

– Debout hurle-t-il, pour s’encourager lui-même.

– Débarrassez-moi de ces menottes. J’vais quand même pas porter le cadavre de c’nègre toute la journée…

– A chacun sa chacune, lui répond Sefilo qui cette fois doit porter Florence inanimée sur son épaule.

Ils se remirent en marche. Sefilo avait vaguement l’impression de tourner en rond. C’est là qu’il réalisa que c’était la première fois qu’il mettait les pieds au Louvre. L’absence de gardien était manifeste. Par où la sortie ? Ils marchaient au milieu de sculptures depuis dix minutes qui paraissaient des siècles. Et s’ils percevaient encore, venant d’un lointain diffus, le bruit de tirs sporadiques et celui plus étouffé d’explosions, la salle, où ils se trouvaient, était calme et sereine. La pierre des gisants donnait à l’espace qui les entourait une impression d’éternité. Un court silence frappé par une lumière glaciale qui les traversait tous. La pensée qu’ils étaient tous morts frappa le cerveau de Sefilo et Diadou en même temps, ils se regardèrent sans rien dire. Leur rencontre avec cet environnement minéral accentuait encore le pathétique de la situation. Le martiniquais reçut ce calme comme un choc. Florence pesait une tonne. Il chercha son pouls… imperceptible. Un très bref instant, il pensa la laisser dans cette salle…Que lui arriverait-il ensuite ? La liste des sévices et des mutilations n’avait pas de fin… à peine l’avait-il posée qu’il prit Florence sur son autre épaule. Il chercha du coin de l’œil Diadou… une pression violente s’abattit sur lui, sa gorge était serrée. Il se laissa tomber et roula sur lui même s’arrachant à l’entrave qui lui broyait la gorge. Profitant d’un instant de recueillement, Diadou avait balancé Sandor sur le policier, qui une fois lesté par le poids du cadavre, se retrouvait la gorge entravée par la chaîne des menottes. Il a failli m’avoir… salopard, rien ne t’échappe. Faut pas que j’te perde de l’œil. Sefilo expédia un magistral revers de sa main qui n’avait pas quitté son arme. Diadou tomba sur Sandor, puis se releva en essuyant sa lèvre éclatée à la manche de sa veste. Sefilo tira Florence à lui et reprit la marche poussant Diadou du canon de son arme. Il maîtrisa une fois de plus sa rage. Cette ordure est plus fourbe qu’un serpent… il venait de voir SORTIE écrit en toute lettre. Sefilo manifesta son contentement : Diadou se prit un violent coup de crosse dans les reins. Il se plia légèrement, mais ne broncha pas. A l’autre bout de la salle, une rafale venait d’écailler le tombeau de Philippe Pot, il ne fallait pas chômer… les Blacks Renois s’attaquaient à un nouveau chantier. Les cris scandant leur monstrueuse respiration approchaient. Ils coururent vers l’escalator. ARRET MOMENTANE. Le panneau était rouillé. Une main ironique avait dessiné un cœur déchiré en deux. L’ensemble témoignait d’un certain laisser aller. Deux balles firent tomber l’écriteau.

–   Allez allez ! On gicle, gueula Sefilo.

Les deux hommes, malgré leur charge, montèrent l’escalier mécanique en un temps record. Ils se retrouvèrent sous les arcades face à la rue, ils avancèrent en rasant les murs, Sefilo poussant Diadou. Arrivé en face du Conseil d’Etat, un grand coup de fatigue s’empara de Sefilo, il faillit s’endormir contre la grille du Louvre d’où il surveillait la rue. Il y avait quelque chose de paradoxal et d’irritant dans la fréquentation de Diadou et c’est ce qui le sauva ; la certitude que, s’il piquait un roupillon, il était mort. C’était sûrement pour cela qu’il ne l’avait pas tué. Diadou qui n’avait prononcé jusqu’alors que quelques mots déclara d’un ton très officiel :

– Je suis le seul Viking Noir, je ne veux plus porter l’usurpateur !

Ça commençait à bien faire ;

– Ta gueule, rétorqua Sefilo.

Ça faisait d’un coup une sacré concentration de Vikings rue de Rivoli.

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C’est boulevard de Sébastopol que Le Gallo, Philippe et Victor Fillon tombèrent sur Fouks, les pétoires toujours vissées dans les mains. Le boulevard était tranquille à cet endroit et la silhouette de l’inspecteur ne passait pas inaperçue.

– Hey cowboy! lança Le Gallo à son vieux pote Fouks. Tu vas où comme ça ?

– Et vous ?

– On vient de récupérer Victor et on rentre chez Fillon. Viens avec nous. De là, tu pourras faire un point et aviser. Range tes flingues ça craint rien par ici.

– On sait jamais, je préfère être prudent.

La zone des combats semblait effectivement s’être stabilisée dans le centre. Les Halles, le Louvre. Autour de la Seine, les plus acharnés continuaient à s’exciter. A part quelques coups de feu qu’ils essuyèrent à hauteur de la rue Réaumur, c’était devenu plutôt calme. A cette occasion, Le Gallo fit un reproche à Fouks, qui n’avait pas rangé son artillerie…

– T’aurais pu au moins riposter par un tir opportun.

– Ils ne sont pas chargés, dit-il, et de toute façon, j’ai pas de balles.

– Très drôle ! répondit son ami qui semblait apprécier ce genre de plaisanterie.

C’est néanmoins d’un pas alerte qu’ils dépassèrent la gare de l’Est et remontèrent dans l’appartement de Fillon. Là, autour d’un petit percolateur, quatre tasses se préparaient tranquillement. Complètement crevés mais ravis d’être ensemble, entiers, souriants et soulagés, ils commençaient à décompresser. Un bruit étrange sortit de la petite machine italo-chinoise qui explosa. Couverts de café, mais hilares, ils conclurent que la nuit était encore chaude.

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A l’aube, Florence Moskin avait succombé à ses blessures. Sa décision était prise, officiellement Florence était tombé au champ d’honneur. Rue de Rivoli, Sefilo et Diadou, toujours menotté au cadavre de Sandor, hélèrent un engin blindé. Sefilo réussit à convaincre le chauffeur de faire le détour par l’IMEL, histoire de voir ce qu’il en restait et éventuellement d’y déposer les deux corps. Quelques minutes plus tard, après un trajet à fond la caisse malgré les nids de poules bringuebalant tout le monde, pour finir, après un magistral coup de frein, les vivants écrasés sous les morts… ils repoussèrent le corps de Sandor, puis l’enjambèrent. Sefilo avait détaché Diadou afin que ce dernier l’aide à transporter Florence. Complètement lessivé, ses forces l’abandonnaient et après tout ce périple il ne pouvait toujours pas se résoudre à l’abandonner. Miraculeusement, la morgue n’avait pas trop souffert. A part une explosion qui avait soufflé toutes les vitres noyant sous les courants d’air cet immeuble glacial. Ces désagréments n’avaient pas altéré l’activité. Preuve en était : l’accueil.

– Le frigo est plein et comme ma femme ne veut pas que je ramène du travail à la maison… le toubib laissait généralement à l’interlocuteur le temps d’au moins esquisser un sourire et rajoutait, j’prends plus de client. Cette fois, ce n’était plus vrai pour sa femme, ça faisait un mois qu’elle était décédée, la force de l’habitude et pour les clients c’était l’abondance. Avec la température qui régnait, pris d’un altruisme qui l’avait surpris lui-même, il avait essayé d’agrandir l’accueil en multipliant le nombres de places hors frigo, mais fallait pas rêver, tout bricolage a ses limites et à dire vrai, il n’avait aucune envie de se laisser emmerder par les morts. C’était pour cela qu’il faisait ce boulot. Il accepta de prendre le corps de Florence Moskin, mais refusa catégoriquement celui de Sandor.

Sefilo accompagnés de Diadou, le regard vide, revinrent au véhicule pendant que le médecin légiste finissait de tirer sur son clope, la tête inclinée vers le fleuve qui lui renvoyait des pensées nostalgiques. Le pont d’Austerlitz, toujours un peu guindé malgré les dégâts causés par une rocket qui avait mis de la poutrelle à nu, s’élevait au-dessus de la Seine. Et, sur les quais, intemporels, les grues et les tas de charbons s’alignaient dans la crasse. Ils retrouvèrent le chauffeur dans le bistrot d’en face, qui avait réussi à sauver un semblant de bar et quelques bouteilles. Visiblement, il avait quelques bons bordeaux, et même du cognac. Le bidasse termina d’un trait son verre de gnole tandis que derrière eux passait une colonne de transport de troupe. La conversation tournait autour de la reprise du contrôle de la ville par les forces armées. La troupe commençait à avoir tous les grands axes en main. Les troupes spécialisées ratissaient les toits et les caves. Pas très loin, une fumée âcre s’élevait dans le ciel, indiquant le nettoyage en cours d’une poche de résistance.

Quand ils revinrent au véhicule, Sandor avait disparu. Diadou rompit son silence prit une mine navrée, et dit d’une voix grave et solennelle :

– J’aurais dû lui couper la tête !

Un jour se levait, qui n’avait pas vu passer la nuit. Malgré les fumées éparses, les grandes tours jadis modernes. Les lourds nuages qui passaient doucement sur Paris donnaient à toute cette architecture une pesanteur subtile. La ville avait rarement été aussi belle.

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On a récupéré Fred ! La nouvelle éclata comme une bombe. Fouks fût le premier à être au courant.

– C’est pas vrai, comment ?

– En ratissant une cité à Montreuil, les gars de l’EPIGN l’ont trouvé dans une cave. D’ailleurs, ils ont failli le tuer. Ils l’ont pris pour un infiltré de banlieue jouant au macchabée. Apparemment, il avait été repéré et les loubs l’avaient laissé pour mort après s’être bien occupé de lui… les gus de l’EPIGN ont bien failli finir le boulot. Coup de pot, un des gus avait la carte et la plaque de Fred. Il l’avait récupéré sur un de ces fameux légionnaires de banlieue qu’il avait abattu quelques heures avant. Quand il a vu Fred, malgré les gnons, il a eu un doute. Il s’en est fallu d’un cheveu.

– Incroyable !…

– Le capitaine de gendarmerie en a même rajouté disant que c’était normal, que Fred n’avait pas à laissé traîner ses plaque et carte comme ça… alors qu’il fallait s’estimer heureux qu’il n’ait que quelques bleus en plus… Fred est à l’hosto et il est pas joli à voir.

– Il va s’en sortir ?

– Personne n’est très optimiste.

– Merde !

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L’interrogatoire de Diadou Jean, né le 1er Février 1964, Guinéen (pour d’étranges raisons, il se faisait passer pour ivoirien) apporta quelques lueurs. Peu au regard du grand mystère N8. A la recherche d’indications infimes, le moindre détail troublant était vérifié. Les policiers rentraient à force de patience et de recoupement dans l’univers du Dr D. et d’un certain B. de B. Il semblait que plus le temps passait et plus Diadou s’ouvrait. Il s’éveillait et parlait de plus en plus au point de saouler les flics les uns après les autres, qui, fatigués de cette logorrhée, se relayaient de plus en plus rapidement. Le bougre n’était pas idiot. Il raconta sa vie, bardé de diplômes anglo-saxons. Docteur en médecine. Socio-ethnomachin, anthropotruc. Jadis intellectuel brillant, le personnage avait été ambitieux, il avait eu ses entrées dans le monde. Psychiatre “ new wave ”, doué d’une éthique très souple, il profita abondamment de ses patientes. A la suite d’un scandale, il abandonna l’Europe pendant un temps. Recruté par la C.I.A, il part comme médecin d’une unité de mercenaires. Le Zaïre est à feu et à sang. A part les quelques expériences réalisées sur des sujets encore vivants, personne ne verra jamais Jean Diadou prendre sa trousse de médecin. Il préfère la machette. Une précision importante : personne ne l’y oblige. Beaucoup se demandent où est passé le toubib. Il est au cœur des massacres. Arrivé à Kinshasa, on le perd de vue. Puis on le retrouve en France. Là, il décompresse, passage à vide, grosse déprime et il tombe entre les mains du Dr D. Diadou vit dans un monde particulier. Sous un aspect bonasse, les flics sentaient bien que l’homme pouvait être dangereux. Il fût mortellement chiant. Il ne pouvait s’empêcher d’utiliser un ton professoral qui portait rapidement sur les nerfs. Diadou se révéla pour l’équipe de flics entière un véritable trou du cul.

Fillon, consigna par écrit tous les renseignements dont il fut le témoin. Assurément l’homme était un emmerdeur, mais il avait subi un lavage de cerveau. Chimique ? C’était probable, le labo n’était pas formel. Hypnose ? Il y avait de grandes chances. Deux personnalités se croissaient, laissant entrevoir des traces d’implants d’une mémoire peut-être fictive, voilà ce qu’il voulût bien dire aux flics qui l’interrogeaient :

Lui, Jean Diadou assurait avoir tué Sandor Walala qui se faisait passer pour le viking noir. C’était lui, Jean Diadou, le véritable viking noir. Il avait dix fois plus de sang viking dans les veines que ce crapaud de Sandor. Il l’avait tué parce qu’il avait outrepassé ses droits en déclarant l’apocalypse sans l’assentiment des dieux. Oui, il avait servi N8. Oui, il avait organisé la logistique de certains attentats, notamment à Munich.

Quand, on lui demanda pourquoi N8 avait choisi pour ce rôle quelqu’un à la peau plutôt foncée, sans vouloir entrer plus avant dans des problèmes multiraciaux. Diadou répondit que c’était plus correct, politiquement parlant, bien sûr et que, sa connaissance approfondie de l’histoire contemporaine et de sa dramaturgie faisait de lui le candidat idéal pour ce genre de mission.

Quand on lui demanda pourquoi il avait fait sauter l’horloge à Munich ?

Il répondit,  qu’on ne pouvait pas comprendre comme ça….que les oripeaux nazis étaient destinés à être vus à la lumière des autodafés.  Mais de quels oripeaux nazis voulait-il bien parler ?  Ce sont les papillons qui savent d’où vient la lumière…et surtout, les papillons de nuit, eux seuls savent de façon brûlante quel est le véritable jeu des ténèbres et ils le vivent dans l’espace intense de leur courte vie sublime et dramatique…le feu, l’aigle. Le papillon, les fleurs…tout s’équilibre si Thor le désire et si l’homme est prêt à recevoir la vérité qui vient du soleil. .. Il avait réalisé une sorte de grand chelem runique qui lui avait donné un certain avantage. Ce fut fatal à Sandor.  C’était écrit, c’était à lui, Jean Diadou de prendre le pouvoir et il fallait se débarrasser de ce nègre qui se faisait passer pour un viking et d’ailleurs les walkyries n’avaient pas été dupes longtemps. A la fin, elles ne lui obéissaient plus.  L’enquête fit apparaître des témoignages de filles qui s’étaient retrouvées embringuées, souvent par la force, souvent droguées. Elles avaient subi diverses manipulations qui les avaient contraintes à se plier aux exigences de N8. Et pourtant, c’est en toute innocence que certaines prostituées réalisaient qu’elles avaient travaillé pendant des années pour une organisation terroriste. Quand on leur demandait comment elles avaient pu participer à cette gigantesque escroquerie, elles étaient incapables de répondre.

Jean Diadou ne s’était pas élu Viking Noir de l’année tout seul. Fouks avait été un des premiers à flairer l’embrouille. Y’avait de l’hypnose là dessous . Des souvenirs étranges incrustés dans la mémoire mettaient en relief le travail du Dr D., cela revenait dans les propos de Diadou. Il tenait un discours récurrent sur les racines africaines du mouvement national-socialiste. Ils avaient travaillé ensemble sur l’influence du masque et des danses animistes dans les parades nuptiales et plus spécialement dans la célèbre marche au pas de l’oie (qui était en réalité une grue de Judée). Le crocodile était l’animal clé des mondes souterrains, il avait influencé de nombreux rites encore tenus secrets pour des raisons évidentes. Les écailles formaient un puzzle complexe et camouflant, une sorte d’écran projectif pour une chorégraphie brutale et pourtant souple qui peu à peu influençait la soumission théâtralisée du groupe. Un ensemble de signes amphibies soulignés par tous, amenait la femelle à l’accouplement avec le mâle dominant. L’acte rapide et mécanique se passait dans l’eau du marigot, devant tous les rivaux, l’œil fixe, méthodiquement alignés. C’était l’acceptation par tous de la saillie avec la femelle qui leur passait sous le nez. L’avenir de l’humanité jaillissait une fois de plus des eaux saumâtres. Excellent point de départ pour un nouveau rapport social dynamique et hiérarchisé. Bras d’honneur à l’appui, Diadou joignait le geste à la parole. Seul problème, le crocodile n’était plus en mesure de s’envoler depuis bien longtemps, alors que tout volait, les oiseaux, les hommes, même les pierres grâce aux volcans. Il repartait… les flics laissaient refroidir la lave et ils retravaillaient Diadou sur D. et ses méthodes.

Une fois de plus, ils s’efforcèrent de rentrer dans le monde obscur des P.M.E. Psychotiques. Certains détails recoupaient les déclarations d’Ivan Care. La villa était connue du ministère qui lui avait alloué une aide financière était vide. Ça, il le savait déjà. Le Dr D. avait pris la fuite. Diadou parla de l’ADOS (l’autonomie des organes sensoriels.) mais son délire, n’ajoutait guère qu’un éclairage différent à une autre folie. De tangible, il n’y avait pas grand chose. Une cassette vidéo. La danse nuptiale que Sandor Walala avait aperçue. Des organes génitaux copulant librement dans un aquarium. Pas de quoi fouetter un chien. Trucage, pas trucage ? Les experts étaient toujours partagés. Un dessin animé de mauvais goût qui ne remplacerait pas le principal acteur aux yeux des flics. Où était le Dr D. ?

B.de B., mort de peur, persuadé qu’il était devenu Loki, s’était terré, bourré de tranquillisant Puis sortant de son coma chimique, il s’était rendu de lui même. Il s’en tira, fidèle à son habitude, haut la main. On ne put lui retirer un diplôme de Docteur en Médecine qu’il n’avait jamais vraiment obtenu. Pour le trafic des drogues qu’il fabriquait, aucune charge ne put être retenue contre lui. Ces substances chimiques n’étant pas homologuées ne faisaient pas partie des produits illicites inscrites au tableau de la brigade des stupéfiants Il nia en avoir fait le commerce. Il eût néanmoins une amende à verser pour exercice illégal de la pharmacie. Toxico, consommateur, mais non vendeur. L’avocat fut excellent. Papa, vieilli, fatigué mais toujours présent allongea la monnaie (l’Etat avait plus que jamais besoin de ses services…) B. de B. fit un nouveau séjour en désintox.

Infatigables, les flics remettaient le couvert pour Diadou, convaincus que même si “fréquenter ne veut pas dire partager”, il reste toujours certains souvenirs des bons moments qui peuvent donner un petit coup de pouce à l’enquête. Et, contre toute attente:

– Où est le laboratoire du Dr D. ?

Et, comme fréquemment lorsque la question est bien formulée et tombe au bon moment, ils obtinrent une réponse claire. Le Labo Nouvo. 8, rue des Charmes. L’Haÿ-les-Roses.

 82

Sefilo possédait une moto qui lui permettait de se faufiler partout. Il proposa à Fouks de l’emmener. Ils furent entraînés dans un jeu de piste qui les amena dans une clinique abandonnée. Fenêtres et portes défoncées. Matériels sophistiqués brisés. Sur le bureau du directeur un ordinateur carbonisé. Dans l’angle d’une pièce une poubelle encore fumante. Derrière une armoire un point d’ombre attira le regard de Sefilo. Un timbre à moitié décollé retenait une enveloppe qui avait glissé entre la cloison et le meuble. Sefilo la sortit délicatement et extirpa une carte de bonne année vieille de cinq ans. Sur l’enveloppe, on pouvait lire ce nom et cette adresse jusqu’à présent inconnue :

  • Docteur Dée
  • Appartement 701 H.
  • Cité des Mimosas
  • Maisons-Alfort.

 – Depuis le temps qu’on nous mène en bateau on s’est bien payé le tour du monde !

L’appartement du Docteur Dée était situé dans une cité qui regroupait plutôt des cadres que des chômeurs, les pelouses bien entretenues créaient un espace agréable entre la grisaille des grands blocks austères. Les tours, d’une similitude laborantine ne pouvaient que lasser l’étranger de passage. Ce fut la partie la plus difficile du parcours, pas un chat pour fournir le renseignement décisif et pas l’ombre d’une indication écrite, même en norrois. La peur dans les banlieues n’avait pas desserré son étreinte. Au bout d’une heure et demie d’essais et d’obstination, ils prirent un ascenseur qui les mena au septième étage d’une nouvelle tour que Sefilo jouait gagnante.

– C’est la tour H.

C’était bien la tour H. Le nom sur la porte indiquait : Dr Dée. Ils étaient enfin arrivés. Fouks sonna. Comme il fallait pourtant s’y attendre, personne ne répondit. Le nom, ce foutu nom était sur la porte. Avec l’aide du concierge, qui n’avait jamais vu Dée, ils entrèrent dans un appartement poussiéreux. Sur les murs, par terre, des toiles d’araignée s’accrochaient au hasard des volumes géométriques. Un murmure dans la pièce du fond guida leur pas. Éclairée par le clignotement d’un arbre de Noël, ils découvrirent une silhouette tassée, un gros casque d’écoute sur la tête, en train de regarder la télévision. Les orbites vides d’un visage au cuir ratatiné étaient dirigées sur l’écran où un gros plan montrait des cuisses poilues en plein effort. Sefilo opta intérieurement pour un film de cul. Non ! C’était du sport, un haltérophile soulevait des poids. Autour de l’écran, le regard s’habituant peu à peu au clignotement de la guirlande, soutenue par les couleurs du téléviseur, on découvrait une pièce enfouie sous une poussière laineuse grise. Hyper kitch. Une neige grise harmonisait le paysage au sapin en plastique avec la quintessence du noir et du blanc dénoncée par les couleurs primaires que lançait la guirlande. Un sauteur à la perche fut pris de ralenti au milieu de l’écran. Ce mouvement lent, puis décomposé, hors du temps, accentua l’espace. Une odeur écœurante et le manque d’air devenu poignant rendaient toute recherche systématique très éprouvante. Les momies, il connaissait Fouks. Mais celle là avait un faux de revival. La momie dans le fauteuil avait dans la main une télécommande, à sa portée, sur un petit meuble, quelques revues. Pris d’un doute, Fouks se saisit d’un magazine et après avoir essuyé le bas de la revue, lut la date. Il vérifia sur les autres. Ils étaient tous datés du début de l’année 2003. Cela rappelait bougrement un vieux fait divers, se dit Fouks.

Un homme n’était-il pas mort dans son studio, avant d’être retrouvé cinq années plus tard devant son téléviseur ? C’était en Allemagne, à Bonn, un handicapé, il se rappelait maintenant parfaitement l’affaire. Le sapin de Noël, la télé, le programme, la momie… tout y était : hors le sphinx. On leur avait joué un remake. La promenade en bateau continuait. Une forte impression de déjà vu s’empara de l’esprit de Fouks… il vit passer la même conclusion dans l’expression de Sefilo.

– Tu regardes les J.O. ici ou on s’arrache ?

– J’me casse Fouks, l’ambiance est tombée, et puis j’ai vachement soif.

En redescendant, Fouks lui dit :

– J’mettrais ma main à couper qu’y’a cinq ans que la momie a été empaillée.

Dégoûté, il fit part de ses réflexions à Sefilo qui lui répondit,

– Depuis la rue de la Lune, je ne sais plus quoi vous dire, chef ! Si vous pensez, qu’on nous prend pour des cons, vous avez probablement raison. Mais, je voulais vous dire qu’à mes yeux, vous serez toujours le moins con, chef ! Et, j’suis vraiment sincère.

Après avoir appelé les techniciens de la scientifique, ils eurent le temps de boire quelques coups, les gars du labo mirent huit heures à se rendre sur place.

 83

Dans la soirée, les services de sécurité de l’aéroport Charles de Gaule arrêtèrent un individu suspect. Il trimballait un cœur vivant qui battait dans sa valise. L’homme correspondait au signalement du Docteur D.

Une fois la certitude faite qu’ils avaient vraiment mis la main sur le Dr D., une enquête facilitée par la coopération de D. lui-même fût lancée.

Le docteur se présenta sous son meilleur jour. Il se serait sacrifié lui-même sur l’autel de la science s’il avait pu, après s’être épluché anatomiquement, pour continuer ses recherches. Malheureusement, on en était pas encore là. Il fit porter le chapeau à tout son entourage. Même les flics pourraient devenir responsables de la mort d’un gamin dont il avait miraculeusement sauvé le cœur. Tous les organes étaient encore disponibles, mais dispersés en Europe. Le reste de l’enfant était en kit et il s’était fait un point d’honneur de remonter l’enfant en un temps record. Il ne répondrait aux questions des flics qu’une fois cette opération humanitaire réglée. Les médias s’emparèrent de l’affaire. Les labos qui louchaient sur les recherches de D. mirent leur moyen dans la balance pour s’emparer de l’expérience.

Une équipe constituée d’un mélange de médecins et de flics retrouvèrent pourtant dans des appartements aménagés en labo les fameux organes en état. Seul l’estomac était absent à l’appel. Le Dr D. déclara que :

– Les flics étaient arrivés trop tard, le foie n’avait pu attendre, il avait faim. N’ayant personne pour le nourrir, il n’avait pu prendre ses jambes à son cou, mais il s’était tout de même enfui, comprenant, bon gré, malgré, qu’il fallait bien qu’il se démerde tout seul. Tout ce qui s’inscrivait dans le programme ADOS (autonomie des organes sensoriels) se déroulait ainsi.

Pour les flics c’était dur à avaler. L’affaire du gamin était définitivement réglée. Les spécialistes en greffes d’organes et autres transplantations étaient sceptiques…

Après enquête, une polémique avec les médias, il fut facile de démontrer que deux grands laboratoires avaient décidé de mettre la main sur D. et qu’ils avaient engagé et payé des journalistes pour faire un portrait flatteur du Dr. Ils avaient monté l’opinion contre la police. La manipulation démasquée fit descendre la pression que Samdimanche avait grandement contribué à faire monter.

L’enquête suivait son cours. Des témoins se présentèrent, d’autres complices furent arrêtés. Consciente des complicités en haut lieu, la police avançait. Les fusibles sautaient, le régime en ressortirait purgé pour un temps. Malgré le ton de chasse aux sorcières qu’avait pris la traque, les comptes qui se réglaient restaient d’ordre politique et surtout économique. Les labos n’avaient pas dit leur dernier mot.

Le système D, comme la presse l’appela, était basé sur le principe du double. Le monde de D. n’existait que complété de son sosie. Le docteur D. lui-même avait eu un frère jumeau qui était mort. C’était ce docteur Dée que Sefilo et Fouks avaient retrouvé momifié au milieu de cette mise en scène à Maisons-Alfort. C’était certainement lui que Fouks avait croisé dans son bureau, il y a une dizaine d’années… D. avait-il tué son jumeau ? C’est fort possible, quoi qu’il en soit, rien ne put être prouvé. Ils étaient médecins tous les deux et avaient certainement joué sur la permutation de leurs rôles. Ils avaient ainsi double casquette et associaient ainsi psychiatrie et chirurgie esthétique. Dans un premier temps, ils en avaient tiré un subtil cocktail détonnant qu’ils distillaient à une clientèle aisée. Le Dr D. avait fait partie de l’équipe qui avait fabriqué des sosies pour Saddam Hussein. L’opération étant tenue secrète, aucun des chirurgiens ne ressortit vivant d’Irak. D. fut le seul. Déguisé en capitaine de la garde républicaine, il passa au Koweït. Considéré comme mort, il goûta alors les charmes de l’absence. Il n’existait plus, il se fondit dans la vie de son frère, pour ne plus former qu’une et même personne. C’est ce principe qu’il commença à décliner à partir de son retour de Bagdad. Quand il avait un objet, il en désirait un autre exactement pareil (voir mémoire de P. Drolane p. 22). Aigri et envieux, il avait conservé un très mauvais souvenir de ses études médicales et après avoir réglé le compte de deux de ses anciens collègues, il décida de travailler en marge pour le plaisir d’étendre son pouvoir, plus que par l’envie d’accumuler une fortune. Le fantasme de devenir le maître du monde ne devait pas le décontenancer. Fasciné par les cas d’espèces psychiatriques, il avait déjà expérimenté et poussé la folie criminelle de Ivan Care. La crise économique et le désarroi des institutions étaient propices à ce genre de montage. Mais le docteur D. n’était pas réellement un créatif. Il avait fait partie d’une génération terminée à la pub. “Il fallait avoir des idées dingues”. Il dut se rendre à l’évidence. D. n’avait jamais rien inventé. Il faisait de bonnes copies et, surtout, il avait les moyens et la connaissance requise pour pousser une personnalité au-delà de ses propres limites. Il pouvait alors utiliser la folie pour ses propres desseins.

Le Dr D. avait réussi à s’imposer lorsque B.de B. lui fit rencontrer Sandor Walala, le “ Viking noir ” :

Sur le plan officiel et respectable, il avait une clientèle chic et branchée. La publicité que lui avaient valu ses week-ends thérapeutiques et plus tard ses stages de survie avaient rejailli sur sa clientèle privée, augmentant ainsi son audience.

Ses activités clandestines prenaient de l’ampleur et il était fermement décidé à taper là où cela ferait le plus mal… fidèle à son habitude, il rentra dans le monde de Sandor Walala. Celui-ci lui amenait des nouveaux démons et il allait en concevoir des doubles. Mais il tomba sur un os car l’univers de Sandor était suicidaire et D. n’eut jamais une connaissance totale des projets de Sandor Walala. Le viking noir était le seul à connaître tous les réseaux N8 (par la suite, on ne voulut voir que la surface apparente de l’organisation). Les gymnases, les prostituées, les sites internet. Mais les fameuses notes du juge et la trahison de Florence faisaient ressortir une toute autre infiltration qui avait été officiellement stoppée avec la mort de Herbert Bilbot…

D. avait rencontré Jean Diadou alors qu’il rentrait du Zaïre. Le docteur D. s’était emparé de sa personnalité, il l’avait fait travailler. Il l’avait branché sur l’ADOS et ils avaient monté tous deux les challenges du crime. Diadou avait pratiqué le meurtre de façon semi-industrielle, fasciné par l’histoire contemporaine. Il ne lui restait plus qu’à aller faire un tour chez les vikings. Le docteur D. programma Jean Diadou pour que celui-ci le débarrasse de Sandor Walala.

D. détestait Sandor, Sandor méprisait D. et sa science. Il n’y eut jamais de réelle association entre les deux hommes. Quelques échanges et des services rendus dégénèrent rapidement en haine, constituant un stimulant qui accéléra le processus de destruction. C’est ce qui amusait B.de B., artisan de la rencontre. Ils ne furent jamais en phase et le triumvirat souhaité par le même B.de B. fut un échec. Sandor convaincu qu’il était le mot de la fin ne prit jamais le petit docteur au sérieux et si c’est avec aisance qu’il surfait et piratait sur le web, il était persuadé que ses connaissances occultes étaient supérieures à ce que cette technique pouvait lui offrir. La brève rencontre de Sandor avec Pascale Marquet et ce qui s’en suivit, déclencha les hostilités. Les challenges du crime achevèrent la fin du consensus et Sandor, fermement décidé à montrer ce dont il était capable, lança ses valkyries à l’assaut de la banlieue. Les livraisons d’armes amorcèrent un processus qui se voulait final. Sandor était décidé à tuer D. Malgré tous ces différends, une étrange intimité s’était établie entre B. de B. et le Viking noir. Sandor était persuadé que les dieux, en remerciement de sa perspicacité lui en avaient confié la garde de Loki… il y avait longtemps qu’il n’avait pas taillé un aigle de sang. Cela lui manquait. Il confia son envie à B.de B. sans toutefois préciser le propriétaire des poumons. Une suite d’événements dont l’attaque par les chiens et l’explosion de violence qui s’en suivit, firent apparaître le Ragnarök. L’arrivée de cette apocalypse surprit tout le monde. Le Viking noir savait qu’il ne survivrait pas à l’anéantissement, tout comme D. se devait de disparaître avec le cataclysme qui venait de se déclencher. Peut être crut-il que le Dr avait été tué dans la tourmente ? En réalité, D. représentait peu de chose pour le Viking noir. Seul Loki alias B.de B. avait un destin et il ne pouvait pas y échapper… Cherchant à recomposer les morceaux du puzzle, la police chercha, mais rafle après rafle, enquête après enquête, tant à l’étranger qu’en France où apparemment, elle avait pris son départ, la nébuleuse N8 conservait l’aspect d’un mirage. Il apparut que N8 avait été crée par Sandor Walala. Avec N8, le Viking noir avait remonté les réseaux Internet comme jadis les drakkars remontèrent les fleuves. Il avait reconstitué une troupe de Walkyries dont certaines combattirent avec les insurgés. Lorsque la police découvrit le home studio de Sandor Walala, les flics trouvèrent dans ses papiers des textes de discours. Les notes montrèrent que pendant un temps il crut à l’Europe dirigée par un viking noir. Il le disait parfois à B.de B. quand il était enclin aux confidences. Se référant à cet Hitler, petit et brun face à ces grands blonds qu’il érigeait en modèle, Sandor pensait qu’il avait le profil absolu. La police saisit des bandes magnétiques et des partitions. Dans ses derniers moments Sandor Walala adaptait Wagner à la cora et au balafon (il avait remplacé la darbouka de la partition initiale par le balafon plus mélodique). N8 ne prit jamais beaucoup d’ampleur dans les autres pays européens. Et pourtant les réseaux existaient, Nacht, Noce, Night, etc… Les émeutes parisiennes furent reçues à l’étranger comme un événement franco-français. Les révolutions étaient passées de mode dans le reste du continent. La seule inquiétude des voisins européens était la suivante : combien de temps les Français allaient-ils leur casser les pieds avec ce 2008 qui n’avait duré que 8 jours et qui n’avait fait, face aux J.O., que l’objet de quelques shockumentaires ? Que les deuxmillehuitards la ramènent chez eux passe encore, mais il fallait que la France apprenne à restreindre ses démonstrations folkloriques à une dimension nationale plus modeste. Quant à N8, personne n’y crut réellement à l’extérieur de l’hexagone.

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Les services de déminage récupérèrent un certain nombre d’armes, dont un colt frontière finement gravé au nom légendaire de Christian Prouteau. Le revolver était curieusement muni d’un silencieux et le barillet avait disparu. Mystérieuse destinée des armes et de ses amateurs, l’arme ne fut pas réclamée, il s’agissait en fait d’une copie.

Afin de juguler le nombre croissant d’armes de guerre qui s’infiltraient dans les quartiers à problème, un dispositif fut adopté. Le plan eut comme nom de code Attis, rappel à l’amant de la déesse Cybèle qui s’émascula par amour. Les détails ne furent jamais divulgués, toutefois, une enquête privée parvint à démontrer que des munitions spécialement destinées à neutraliser les armes, non référencées   circulant dans les zones troubles, causèrent de sérieux dégâts (et pas uniquement chez les délinquants). Des grenades dépourvues de retardateur achevèrent le programme destiné à contrôler tout maniement d’arme de guerre. Les quelques explosions d‘engins piégés déclenchèrent une véritable terreur, assurant définitivement la psychose du handicap. Les responsabilités mises en jeu ne furent jamais clairement établies (le programme Attis fut toujours nié par tous les services incriminés) et de nombreuses personnes, pas toujours de bonne foi, qui voulurent se faire dédommager de la perte d’un bras ou d’une jambe n’ont à ce jour pu obtenir gain de cause.

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La police se penche sur le Graal

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Loin des effets de manche des avocats qui, d’expertise en contre expertise, s’excitaient sur l’affaire D., pendant que dans l’ombre les labos louchaient sur ses recherches. Au chevet de Fred à la clinique des Gardiens de la paix, on décompressait. Malgré un règlement peu ouvert aux libations, l’équipe de Mat avait improvisé un petit raout. Pinard, un assortiment de petits fours. Fouks avait sorti le cognac.

– Écoutez, j’ai une histoire qu’un cousin m’a racontée… ça fait le tour de l’île en ce moment.

Sefilo prit son temps de finir un toast au saumon tout en goûtant d’avance son histoire.

– Un mec en vacances dans les Caraïbes. Un blanc cadre sup. qui a décidé de se payer du bon temps. Il a loué un petit bungalow près de la plage. C’est un copain qui l’a branché sur ce coin. Le premier jour, il se lève tôt bien décidé à profiter de sa journée. Il va prendre son premier bain de mer. Quand il revient pour se doucher, il réalise que le bungalow a été vidé. Il ne lui reste plus rien, à part, son maillot, la serviette de bain qu’il avait pris sur la plage et une paire de sandales… en faisant le tour des lieux impeccablement nets, il découvre qu’il lui reste sa brosse à dents dans la salle de bain. Il voit, ô surprise, son vieux caméscope complètement démodé, le fidèle compagnon de tous ses voyages, suspendu près du compteur électrique !  La caméra est pourtant bien visible… les blacks sont trop cons, ils ont dû croire que c’était un compteur… il plafonne, ça lui fait du bien… ce genre de raisonnement est bénéfique pour son moral et estompe un peu le malaise et l’abattement qu’il avait ressenti quand il s’était retrouvé pelé. Pensez donc, son premier jour de vacances. Il se lave les dents puisque la brosse est encore là, autant en profiter. Et puis il se démerde, téléphone, va voir les flics qui sont débordés par des tas d’affaires… ils ont à peine le temps de prendre sa déposition. Bref, il termine ses vacances, pas trop mal, en tout cas mieux qu’elles n’avaient commencé. Rentré chez lui en France, il visionne la cassette vidéo de ses vacances, ET LA, IL DÉCOUVRE à la place du générique d’un film qui se voulait touristique et pittoresque : Un gros nègre, le pantalon baissé qui se tourne le derrière vers la caméra et se fout la fameuse brosse à dents dans le cul et après s’être frotté énergiquement le derche, content de lui, avec un sourire énorme en travers de la gueule, va arrêter la caméra qui vient d’immortaliser sa prestation.

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Le commissaire Mathieu reprend sa respiration et laisse échapper d’un air sceptique ;

– C’est une histoire vraie ?

– Véridique patron ! Ce qui m’a frappé dans cette histoire en noir et blanc, c’est que comparée à la nôtre d’histoire, celle qu’on a vécue à la brigade et bien, nous on continue à se servir de cette putain de brosse à dents, mais on a que très rarement l’occasion de regarder le film… et on a, au fond de nous-mêmes, l’idée que le film est de plus en plus pourri.

– Le vrai problème, Sefilo, pour nous, c’est à qui appartient la brosse à dents, dans quel cul on l’a mise et comment on s’en est servi, pourquoi le mec en est mort… dit Le Gallo qui a l’air de s’en foutre royalement.

– Ouais, est-ce que ça vaut vraiment le coup de faire toutes ces images ? réussit à articuler Fred. C’est tout ce ciné qui fait le plus mal, termine t-il dans un hoquet.

– Tu fais allusion au dentiste assassiné[1] ? lui répond brusquement Le Gallo interpellé par des souvenirs…

– Pas spécialement, mais c’est quand même toujours nous qui passons la brosse à dents. Le mince filet de voix de Fred surprend l’auditoire qui pris dans cette polémique, en oubliait la convalescence difficile de ce dernier.

– T’es pas forcé de regarder les images.

– C’est pas que t’es pas forcé, mais vu qu’on a jamais le caméscope, on sait jamais vraiment d’où elle sort cette putain de brosse à dents, ajouta Fillon.

Fouks avait grande envie d’intervenir. Après cette brillante joute oratoire à base de brosse à dents, il se servit un cognac après avoir fait passer la bouteille et prit la parole.

– Sefilo, ton histoire c’est tout à fait la légende du Graal. Un remake moderne. Le mec, le vacancier, il avait le Graal. Il a cru le perdre, l’a retrouvé et puis un jour, il réalise. La quête du Graal, messieurs. Vous êtes les seuls, vous les flics, à pouvoir entrer ainsi dans les grands mystères, alors vous ne pouvez décemment pas vous plaindre.

Le silence qui suivit laissa passer quelques souvenirs… comme ces photomatons qui crachaient jadis leurs photos d’identité, des instantanés inédits de Florence, particuliers à chacun, se déroulèrent dans la tête des hommes qui se trouvaient là dans cette pièce. Aucun commentaire n’était plus nécessaire et pourtant Fillon reprit la parole :

– Quand même, moi, messieurs je serai plus radical que vous. Pourquoi se cacher derrière les mots et aller de faux-semblant en faux-semblant ? La seule question… c’est bien pourquoi c’est toujours nous qui jouons le rôle de la brosse à dents ?

Fouks se passa la main sur le crâne, qui au fil des enquêtes, se dégarnissait, il flatta les quelques poils qui y étaient encore accrochés et qui brillaient sous la lumière crue. Sous le crane chauve un sourire illumina le visage de l’inspecteur principal.

– Pourquoi s’agiter ? L’attente, Fillon ! On sait tous très bien qu’avec un peu de patience et si l’on est toujours vivant, bien sûr, la photo du gus sortira du caméscope comme au photomaton d’antan, il suffit d’attendre… et le gus, on l’alpague avec…

Il leva son verre, regarda le cognac avec affection, huma l’eau-de-vie dorée, (c’était un XO signé Martel, qu’il mettait de côté pour les grandes occasions.) le vida, et dit d’une voix éraillée par l’effet de l’alcool :

– Le GRAAL, les mecs, la 18ème rune…

Ep8 - FIN couleur-01

 FIN

François Vitalis

le 11 juillet 2001, Las Galeras

 [1] Voir Les dents de la Joconde, éditions Baleine, du même auteur.

3 réflexions sur « N8 – Episode 8 »

  1. La 8ème couverture cache une partition : la clé de SOL (la kalak emprisonne dans sa sangle une tête coupée). Les 5 lignes de la portée musicale (les marches de l’escalier) avec en son milieu un DO, blanche agrandie par le larsen, cri de la Grande Mère recouverte des neiges éternelles.
    J’ai découvert l’énigme et gagné le jeu concours N8 (un séjour de 3 jours à Uppsala en demie pension). Ouuuais !!!
    Question : quelle est la liste des gagnants concernant les autres couvertures ?

  2. De mystérieux sanglots s’élèvent de la partition. « Nous sommes pris d’un religieux étonnement à la vue de ces processions macabres de signes sévères, chastes, inconnus ». Mallarmé L’Art pour tous 1862. Ne soulevons pas le voile de Maya.
    Prends garde Ragnard…

  3. Pour répondre à Ragnard…Fouks ça me disait quelque chose, mais surtout ça me faisait penser à Antoinette Fouque. En gros, ça n’a aucun rapport, mais AF présente des traits virils, alors pourquoi pas? Chaque fois que Fouks intervient, fait un commentaire sur les armes, ou quoi que ce soit, mon cerveau me dit Antoinette Fouque et je sais qu’elle n’aurait pas aimé, car seul le féminisme la passionnait…En attendant la prochaine C JO

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